“Ferme l’œil de ton corps, pour d’abord voir ton tableau avec l’œil de l’esprit. Puis mets au jour ce que tu as vu dans l’obscurité, de sorte que ta vision agisse en retour sur d’autres, de l’extérieur vers l’intérieur.” (C. D. Friedrich)
Mon intérêt pour la peinture du romantique Caspar David Friedrich (1774-1840) m’a poussé sur les pistes de l’île de Rügen où le peintre allemand s’est rendu à plusieurs reprises. Il y a effectué plusieurs dessins et peint des paysages dont le célèbre Falaises de craie à Rügen.
Le paysage classique dans la peinture, tel que l’a défini Goethe, se déclinait sous trois formes : le paysage héroïque (Nicolas Poussin), le paysage pastoral (Claude Lorrain) et le paysage sublime (Salvator Rosa) pour servir du décor à la thématique classique. Des romantiques bousculent cette conception officielle. C. D. Friedrich libère le paysage en le considérant comme sujet et non comme décor. Il donne au paysage une charge subjective et lui confère une dimension allusive en exprimant la Nature, le concept clé dans la philosophie des romantiques allemands.
Carl Gustav Carus (1789-1869), proche de Friedrich, lui-même peintre et savant, va jusqu’à refuser l’expression l’art du paysage, qu’il trouve “artisanal” et “répugnant”, et propose d’introduire le terme de l’art de la représentation de la vie de la terre (Erlebenbildkunst).
(NB. Citons quelques autres peintres romantiques allemands, proches des conceptions philosophiques de C. D. Friedrich : Philippe Otto Runge, Carl Gustav Carus, Ernst Ferdinand Oehme, Carl Blechen…)
Friedrich peint l’homme face à l’insondable Nature, face à l’immense Univers, en donnant à cette relation toute la caractéristique de l’Absurde si l’on emprunte la définition à Albert Camus.
En contemplant Die Eismeer (La mer de glaces), le tableau très puissant émotionnellement, le sculpteur David d’Angers dit : “C’est une espèce d’itinéraire vers la tragédie du paysage”.
En tant que photographe, j’ai voulu éprouver les paysages de Rügen, en marchant dans les pas de Friedrich, sans pour autant le copier ou reproduire ses tableaux. Friedrich m’a invité à une méditation du paysage à travers l’acte créatif. Je me suis prêté au dialogue.
Chaque photo de la série “Romantiques” a été achevée à travers plusieurs logiciels de traitement d’image (jusqu’à six). Il m’a été agréable de penser à la technique de glacis qu’appliquait C. D. Friedrich. Dans mon travail, j’ai retrouvé ce principe de superposition des couches successives de vernis pour obtenir l’effet souhaité de rendu.
Quelques photos teintées sépia et bleu s’inspirent du passé de dessinateur de Friedrich qui n’a commencé à produire des peintures à l’huile de manière conséquente qu’aux alentours de 1805.
J’associe des titres à mes photos selon ce code romantique. Parfois, j’en emprunte à C. D. Friedrich pour créer le lien plus direct avec son expression.
Les titres des peintures sont porteurs des thèmes chers aux peintres romantiques (dont Friedrich en était de toute sa conviction). Ils évoquent les cycles élémentaires de la vie, les quatre éléments, les saisons, les âges de la vie, les tempéraments, l’ascension et la chute, le devenir et le disparaître, la naissance et la mort, des lieux et des phénomènes météorologiques, les heures du jour… Une polysémie cosmologique.
“Tout phénomène de la nature, dit le Peintre, s’il est appréhendé correctement, avec dignité, de manière réfléchie, peut devenir l’objet de l’art.” Et il ajoute dans une correspondance à Runge : “Il se peut que l’art soit un jeu. Mais c’est un jeu sérieux.”
Bibliographie :
Lien : Liste d’oeuvres illustrée de Caspar David Friedrich
